G. Kreis (Hrsg.): Die Geschichte der Schweiz

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Titel
Die Geschichte der Schweiz.


Herausgeber
Kreis, Georg
Erschienen
Bâle 2014: Schwabe Verlag
Anzahl Seiten
645 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Olivier Meuwly

Dès sa préface, Georg Kreis, professeur émérite de l’Université de Bâle et directeur de cette nouvelle Geschichte der Schweiz, annonce la couleur: une génération après la sortie de la monumentale Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, sous la direction de Jean-Claude Favez, le temps était venu de rouvrir le dossier, d’offrir aux lecteurs un nouvel état des lieux de la connaissance de notre histoire, d’établir un bilan des savoirs acquis depuis lors et, enfin, de dresser les perspectives qui attendent désormais les historiens de notre pays. Constat plein de sagesse alors que l’histoire helvétique a connu d’innombrables visites et interprétations inédites depuis plus de trente ans. Les années 1980 ont ainsi allumé une série de polémiques centrées sur la nature paradoxale de la Suisse et qui n’en finissent pas de resurgir à intervalles réguliers dans l’espace public.

Cet ouvrage tombe ainsi à point nommé pour présenter un état de la recherche sur l’histoire suisse à un moment où notre pays entre dans une période de turbulences, où les questions sur son essence, sa place dans le monde et son destin sont agitées à longueur de débats et où les fronts politiques semblent se tendre. Et, disons-le d’entrée de cause, elle remplit remarquablement son rôle: elle déroule un somptueux tapis riche en informations et en analyses, faisant son miel de toutes les avancées de la recherche accumulées ces dernières décennies. Mais si ce beau livre succède à la Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, la remplacet- elle pour autant? Il la complète en l’approfondissant plutôt, dans la mesure où sa volonté de rompre avec les présupposés méthodologiques de l’opus dirigé par Jean-Claude Favez ne les contredit pas formellement. Son intention d’aborder l’histoire suisse sous le plus grand nombre de points de vue, et c’est l’un de ses grands mérites, éclaire ainsi notre passé sous des jours nouveaux, au fil d’une histoire qu’on peut qualifier de totale par l’ampleur des thèmes qu’elle aborde, de l’histoire sociale et économique à l’histoire politique en passant par l’histoire du droit, des institutions et de l’administration ou encore l’histoire intellectuelle, culturelle et des genres. Un programme gigantesque dont l’ouvrage brosse un portrait fascinant en onze chapitres allant de la préhistoire au temps présent et reliés par des chapitres thématiques, traitant de sujets «transversaux», comme l’histoire du climat, le développement démographique, la question de la neutralité et des étrangers, l’idée républicaine et de la démocratie directe, le tourisme ou encore l’armée. Il y en a vingt-deux au total. Autre point fort de l’ouvrage: la grande diversité des auteurs sollicités, en provenance de toutes les Universités du pays. Parmi les Vaudois, citons Lucie Steiner, Justin Favrod, Jean-Daniel Morerod (enseignant à l’Université
de Neuchâtel), Danielle Tosato-Rigo et Béla Kapossy, tous deux de l’Université de Lausanne. Sans oublier Daniel Paunier, professeur honoraire de cette même institution.

La structure de l’ouvrage permet un approfondissement passionnant des différentes strates chronologiques qui composent l’histoire de la Suisse. Forte de cinq riches chapitres, la période courant du Moyen Âge à la fin de l’Ancien Régime est ainsi auscultée sous un regard aussi neuf que stimulant : l’équipe réunie par Georg Kreis lui restitue une fonction trop souvent occultée dans la construction du pays et montre comment les acquis des XVIIe et XVIIIe siècles ont contribué directement à l’édification de la Suisse moderne à partir de 1848. Cette périodisation resserrée de notre Ancien Régime ouvre un territoire immense dont on perçoit mieux la richesse. Des terrains encore négligés comme l’importance de la pensée d’Isaak Iselin sont ainsi arpentés avec bonheur et illuminent le rôle intellectuel de la Suisse à cette époque. Revers de la médaille, la densité informative, le luxe de détails qui ornent la narration complexifient parfois la vision globale de la période et empêchent de mieux cerner les ruptures et, réciproquement, les continuités d’un Ancien Régime dont les structures sociales, ne se modifient pas fondamentalement d’un siècle à l’autre. Les révoltes du XVIIIe sont toutefois, et curieusement, peu traitées. Les Vaudois devront ainsi faire le deuil du major Davel, renvoyé à ses lubies mystiques et désormais absent de la geste nationale d’un Ancien Régime avançant vers son terme… François de Capitani, dans la Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, lui réservait encore quelques lignes… Le soussigné souffre-t-il d’une illusion d’optique lorsqu’il examine la seconde moitié du XIXe siècle et le XXe siècle ? Il est toujours délicat pour un observateur de se pencher sur la synthèse d’une période qu’il a luimême étudiée. Nous nous étonnerons néanmoins des prémisses qui ont guidé Regina Wecker dans son récit de la période allant de 1848 à 1914. Son désir de mettre en avant la montée du mouvement ouvrier, les conditions de vie de la population et la question féminine se comprend à bien des égards. C’est durant les décennies qui suivent l’adoption de la Constitution fédérale de 1848 que la classe ouvrière prend conscience d’elle-même et que, de mouvement social, elle se mue en une force politique capable, peu à peu, de contester la prédominance des radicaux et des conservateurs-catholiques dans les rouages de la politique fédérale. Il en va de même pour la question féminine: c’est à la fin du XIXe siècle que les femmes précisent leurs revendications et entament leur longue marche vers l’égalité politique. Même si leur voix porte encore peu, elles s’organisent et tentent d’influer sur les travaux qui accompagnent la rédaction du futur Code civil suisse. Considéré dans sa globalité, le chapitre semble toutefois bancal: il montre mal combien la question du fédéralisme constitue encore un élément structurant du débat politique, mais aussi social de l’époque. Il semble en outre oublier que l’histoire politique, si elle ne se borne pas aux classiques duels politiciens, les contient également. L’importance des partis politiques, pourtant réceptacles et vitrines des combats sociaux de l’époque, est sous-estimée: or, c’est bien à cette époque que se dessine le champ politique qui va subsister, peu ou prou… jusqu’à nos jours!

Un constat similaire s’impose pour le chapitre portant sur la Suisse d’après 1945. La structure de son chapitre est originale et permet une plongée passionnante dans une foule de thématiques toutes constitutives de notre quotidien et matrice des conflits qui parsèment notre actualité politique et sociale. Il traite d’abord séparément de thèmes formant l’axe de nos politiques dites publiques, de la politique extérieure à l’énergie en passant par la défense nationale entre autres. Puis il reprend cette vaste matière sur un plan plus chronologique, en subdivisant sa période et en quatre sous-périodes agrémentées de quelques coups de projecteur plus spécifiques. Il est ainsi difficile d’embrasser ce demi-siècle qui effleure notre présent : un inconvénient qui aurait peut-être permis une analyse plus approfondie de la vie politique et de l’évolution des partis, dont les racines des tressaillements actuels n’apparaissent qu’en filigrane! La vitalité de la vie artistique helvétique n’est en outre pas évoquée. Quant à la période de la Seconde Guerre mondiale, si son traitement épouse indiscutablement l’état des connaissances actuelles, on ne peut toutefois pas affirmer qu’il va recoudre les cicatrices apparues dans les années 1990. C’est ainsi presque incidemment qu’on apprend que la Suisse était complètement encerclée, à un moment donné, par les puissances de l’Axe… Ne s’agit-il que d’un détail?

Il convient de saluer encore une fois les mérites de cette Geschichte der Schweiz, un projet grandiose dont les apports sont puissants. Quatre remarques conclusives toutefois. Contrairement à la Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, publiée dans les trois langues nationales, une traduction de l’ouvrage dirigé par Georg Kreis ne semble pas prévue. Les éditeurs annoncent en outre une iconographie ample et souvent renouvelée; osons toutefois prétendre que l’appareil illustratif, bien que fort pertinent, ne constitue pas l’atout maître de l’ouvrage. Troisième point: la dimension économique de notre histoire semble toujours mal à l’aise avec l’histoire des entreprises, qui a fait d’importants progrès ces dernières années; leur implication dans le progrès général de la société peine à être reconnue. Ultime remarque qui justifierait de plus amples commen taires: l’ouvrage n’échappe pas à cette difficulté si typiquement suisse d’intégrer dans le récit les personnalités les plus marquantes du temps… À part quelques chapitres, notamment celui consacré à la Réforme avec un beau passage sur Zwingli, le terreau biographique est peu exploité. Pourtant, ces dernières années ont vu naître de nombreuses biographies, de personnages politiques ou non, qui ont elles aussi éclairé la connaissance de l’histoire de la Suisse. Même les appendices historiographiques qui concluent chaque chapitre ne s’intéressent guère au sujet… Mais peut-être le soussigné prêche-t-il pour sa paroisse? Quoi qu’il en soit, la prochaine synthèse de l’histoire suisse conserve encore des territoires à conquérir!

Zitierweise:
Olivier Meuwly: Rezension zu: Georg Kreis (dir.), Die Geschichte der Schweiz, Bâle: Schwabe, 2014. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 253-255.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 253-255.

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